De Dakar à Lisbonne : quand Sarkozy rencontre l’Afrique
Qui, en Afrique, regrettera Chirac ? S’il fallait commencer quelques part, ce serait bien par là…
- L’Algérie, la Tunisie, le Maroc le regretteront sûrement
- La Côte d’Ivoire et le Rwanda, eux, se dépêcheront de l’oublier
Ce qui manquera à Sarkozy sera donc en premier lieu tout ce qui a plu chez Chirac. Et vice-versa.
Sans oublier la dette personnelle qu’il a engrangé pendant la campagne, cette image agressive véhiculée dans les pays « main d’œuvre étrangère » de la France par le biais de ses discours électoraux sur « l’immigration choisie », qui ont tant irrités les opinions publiques sénégalaises ou camerounaises, et dont il doit se dépêtrer à présent.
Pour couronner le tout, son entrée en matière s’est révélée catastrophique : premier voyage, premier discours, première bourde. A Dakar, Sarkozy avait mis en cause la capacité de "L’Homme africain" à progresser. Un discours qui devait pourtant faire date, mais qui s’est révélé être une erreur de jugement grosse comme l’amour propre de Claude Guéant, porte plume et nègre de circonstance - ce dernier était un proche de Pasqua (l'homme des magouilles de la françafrique) avant d'être celui de Sarkozy...
Depuis, la libération des infirmières bulgares a popularisé Sarkozy en Bulgarie, a défaut de le faire briller aux yeux des Africains. Une belle affaire, mais qui n’a paradoxalement eu que peu de poids dans la politique africaine traditionnelle de la France (la Lybie, ce pays du golfe géographiquement mal placé, n’étant en "Afrique" que pour Kadhafi).
Car la France a un arrière ban d’influence historique en Afrique :
- Le Maghreb, qui a l’air d’avoir oublié les liesses d’antan : alors qu’au Maroc on s’est fendu d’un dîner royal en papier glacé pour magazines people (Rachida Dati en robe Dior) et qu'en Tunisie le dictateur Ben Ali est toujours aussi fréquentable; l’Algérie, elle, a bien mal accueilli le président en laissant impuni l’accès d’antisémitisme d’un ministre à son encontre, alors que Bouteflika jouait la partition de la repentance coloniale. Pour le coup, d’ailleurs, Sarkozy ne s’en est pas mal sorti puisque, faisant fi de sa détestation psychorigide pour la repentance et autres devoirs de mémoire, "l’homme du présent" a bien voulu mettre des mots sur les horreurs de la colonisation tout en précisant le rôle de la France ; sans pour autant sacrifier au jeu de Boutéf qui, soucieux de prévenir la haine d’une jeunesse sans avenir contre l’incompétence de son régime, tente périodiquement de le diriger contre son ancien colonisateur.
- En Afrique subsaharienne, la crise tchadienne de l’Arche de Zoé continue d’occuper tout un pan du Quai d’Orsay et a crée l’évènement sans – étonnamment – écorner autrement qu’en surface les relations franco-tchadiennes. Pour Deby, qui a beaucoup trop besoin des troupes françaises dans le jeu d’équilibre qu’il aiguillonne contre les rebelles locaux, s’est bien gardé d’instrumentaliser la vindicte populaire contre la France plus que nécessaire (le nécessaire étant la démonstration de sa capacité d’indignation contre les blancs voleurs d’enfants, histoire de se refaire une légitimité et de restaurer la fierté de son peuple).
La Côte d’Ivoire, elle, s’est finalement passée de l’arbitrage paternaliste français pour se réconcilier et l’ex-méchant Gbagbo, après avoir nommé Soro (son ancien meilleur ennemi et chef rebelle du Nord) premier ministre, s’apprête à organiser des élections démocratiques d’ici à juin 2008.
Or la Côte d’Ivoire a aussi des troupes sur son sol, des troupes longtemps malmenées par les agitateurs pro-Gbagbo. D’après les dires de Sarkozy à Lisbonne, finalement, Gbagbo non plus ne veut pas que la France s’en aille. Est-ce un signe indirect de la sérénité nouvelle du jeu démocratique que celui-ci entend jouer jusqu’à juin prochain ?
D’autres vieux amis de la France - le Congo-Brazzaville, la Centrafrique, le Togo mais aussi et surtout, le Gabon - sont aussi à prendre en compte. Précision utile car trop souvent oubliée, puisque la première visite à dictateur africain du président qui avait tant fait jaser était celui, fin juillet, de Sarkozy à son ami Omar Bongo, le dictateur gabonais en place depuis une quarantaine d’années qu’il a, depuis 2004, visité pas moins de 8 fois (dont une pendant la campagne présidentielle afin de « recueillir ses précieux conseils »). Une visite qui avait moins suscité la polémique que celle de Kadhafi, certes, mais qui est à marquer d’une pierre noire ; étant le premier grand pas du président vers le cynisme politique que les commentateurs politiques lui reprochent aujourd’hui…
Reste le Rwanda, où la France a failli à deux reprises : une fois en laissant faire, par complaisance (de Mitterrand) envers le pouvoir Hutu, un génocide alors que ses troupes étaient sur place avec la capacité d’intervenir, et une autre fois en adoptant une position méprisante à l’encontre de Kagamé, le nouveau président rwandais (et ex-chef des rebelles tutsi) – une information judiciaire ouverte bêtement par le juge Bruguière pour statuer sur la responsabilité indirecte de Kagamé sur le déclanchement du génocide qui a décimé son propre peuple ; à quoi Kagamé avait répliqué en ouvrant la voie à une condamnation de la France par la justice de son pays pour complicité de génocide [nous en reparlerons peut-être plus longuement une autre fois]…
Sarkozy a, là aussi, comme pour la Côte d’Ivoire, tenté courageusement de crever l’abcès en reprenant la posture (certes trop facile) du "on efface tout et on se tourne vers l’avenir".
Attendons de voir si Sarkozy parviendra –comme il l’a promis à Lisbonne – à normaliser les relations de la France avec la Côte d’Ivoire et le Rwanda, ce qui aurait alors valeur d’inventaire des années Chirac et ouvrirait la voie à une autre vision, plus ouverte et moins clientéliste, de l’Afrique par la France. Un vœu pieux, selon toute vraisemblance.