Les Etats-Unis, l'Union européenne (UE), l'Australie et le Japon ont pris, à des degrés variés, des mesures restrictives contre la Birmanie, d'ordre financier ou économique, en réaction à la vague d'emprisonnements de manifestants déclenchée le 26 septembre. Mais les responsables occidentaux sont divisés à propos de l'efficacité que pourraient avoir de simples mesures contraignantes.
Washington prône des sanctions financières ciblées d'assez grande ampleur, pour entraver les transactions bancaires de la Birmanie et de ses dirigeants à travers le monde, dans l'optique d'impulser "un véritable changement politique" dans le pays, ainsi que l'a dit George Bush.
L'UE a adopté une approche plus modérée, où les sanctions sont avant tout conçues comme un signal politique. Pour "intensifier les pressions", elle a décidé, le 15 octobre, une série de mesures d'ordre avant tout symbolique, avec un embargo sur les importations de pierres précieuses et de bois tropical birmans. L'UE préfère mettre l'accent sur le volet diplomatique : mobiliser les pays de la région, principaux partenaires commerciaux de la Birmanie. Le haut représentant de l'Union européenne pour la politique étrangère, Javier Solana, va désigner un émissaire auprès d'Ibrahim Gambari, afin d'associer plus étroitement l'UE à la mission de l'ONU.
A Bangkok, M. Kouchner a émis des réserves sur la portée d'une politique qui se limiterait à des sanctions. Il a jugé "impossible, ridicule et contre-productif" l'espoir de changer "immédiatement" le régime militaire à la faveur de sanctions internationales. Il a lancé l'idée d'"incitations financières" pour la Birmanie, qui pourraient prendre, selon lui, la forme de microcrédits passant par un fonds international d'aide au développement.
La France, a ajouté M. Kouchner, plaidera auprès de la Chine pour que la mission de M. Gambari soit "pérennisée".
Entre Européens, des divergences discrètes se sont par ailleurs manifestées à propos de l'intensité qu'il convient de donner aux sanctions contre la Birmanie. C'est à la demande de la France, qui voulait préserver la position de la firme Total, que les mesures européennes décidées le 15 octobre n'ont pas inclus une interdiction des investissements en Birmanie, alors que le Royaume-Uni et des pays nordiques le proposaient. Le représentant français a insisté pour que seule une interdiction de "nouveaux investissements" soit envisagée, ce qui a permis d'empêcher un gel des activités de Total. Pourtant, pendant les discussions en amont, entre experts, il avait été question d'inclure le secteur du pétrole et du gaz birman dans les sanctions. L'idée n'a pas été reprise lors de la réunion du Conseil des affaires générales, le 15 octobre, à Luxembourg.
Le rôle de Pékin est jugé fondamental par les Européens pour obtenir un changement d'attitude de la part des généraux birmans. La Chine figure parmi les premiers investisseurs en Birmanie, et elle serait le principal fournisseur d'armes à la junte devant l'Inde et la Russie. Le 11 octobre - première diplomatique -, Pékin avait donné son feu vert à une déclaration présidentielle du Conseil de sécurité de l'ONU, appelant à la libération des prisonniers politiques en Birmanie. Les dirigeants chinois ont soutenu la mission de M. Gambari.
"Il y a une ouverture, un vrai changement" dans la position chinoise, qui était jusqu'à récemment hostile à toute pression extérieure sur le pouvoir birman, a commenté, mardi, Bernard Kouchner. "Est-ce suffisant ? Non. Mais nous sommes à un tournant", a poursuivi le chef de la diplomatie française, en concluant que "les généraux ne pourront pas revenir au statu quo ante", dans lequel ils ignoraient totalement la réprobation extérieure.
A Singapour, M. Kouchner avait précisé, devant la presse, avoir reçu de Pékin des confidences montrant que les dirigeants chinois étaient "réellement inquiets" de la situation en Birmanie.
La proposition d'"incitations financières" faite par M. Kouchner - sans entrer dans des précisions sur leurs modalités - a quelque peu surpris, mardi, à Bangkok. Des connaisseurs de la situation en Birmanie font valoir que le blocage qui existe dans ce pays bien pourvu en richesses naturelles, notamment en hydrocarbures, se situe dans les rouages de la distribution de la richesse et non dans un réel dénuement national.
M. Kouchner a encore confirmé que l'Union européenne espérait beaucoup de l'Association des nations du Sud-Est asiatique (Asean), au sein de laquelle la Thaïlande et Singapour sont les principaux partenaires économiques de la junte birmane. L'idée est que ce regroupement régional se saisisse plus activement du problème, maintenant qu'il a publiquement fait état de sa "révulsion" devant la répression du soulèvement des moines bouddhistes en septembre. "La balle est dans le camp" de l'Asean, a jugé M. Kouchner, reconnaissant toutefois que l'inclusion de la Birmanie dans le groupe, depuis dix ans, n'avait pas eu d'effet modérateur évident.