L’Iran, vainqueur collatéral de la guerre d’Irak
Comment un Iran chargé d’arbitrer des rivalités chiites en Irak en est devenu l’acteur incontournable, s’imposant du même coup comme l’allié "objectif" le plus précieux des Etats-Unis dans la région
Il y a maintenant deux semaines, l’Irak a été le théâtre d’une énième combinaison de rivalités qui, depuis le début de l'occupation américaine, fragmentent toujours un peu plus un pays ressemblant à présent à un patchwork sanglant de factions rivales. A ceci près que, pour la première fois, c'est ni plus ni moins qu'une guerre ouverte qui s'est déclaré entre chiites - les milices de Moqtada Al-Sadr (chef religieux puissant qui est à la tête de la milice non alliée la plus puissante d’Irak, l’Armée du Mahdi) et l’armée régulière du premier ministre chiite Nouri Al-Maliki.
Pendant une semaine, l’impopulaire Maliki a joué son va-tout en jurant de décimer l'armée parallèle de Sadr, allant jusqu’à promettre qu’il ne bougerait pas de la ville de Bassorah tant que les 18 milices recensées ne seraient pas délogées des quartiers qu’elles occup(ai)ent illégalement. Une entreprise qui, tentée pour la première fois sans l'appui (initial) des américains, s’est soldé par un échec retentissant, alors que Maliki disait à qui voulait l'entendre (et en premier lieu aux anglais qui occupent Bassorah) que son offensive serait une promenade de santé.
Une semaine de guerre (et 470 morts + des milliers de blessés) plus tard, Maliki - qui, au lieu de reprendre ne serait-ce qu'un seul des quartiers sadristes, a enclanché un soulèvement général des milices de l'Ayatollah dans les grandes villes chiites d'Irak - a dû s'en remettre à l'arbitrage de son allié de circonstance, l'Iran. Le 30 mars à Qom, ville sainte chiite se trouvant en plein cœur de l’Iran, Moqtada Al-Sadr et deux importants membres de l’entourage du premier ministre ont signé un cessez-le-feu sous la houlette du chef des brigades des pasdarans iraniens (= le corps armé de volontaires dont est issu le président iranien Ahmadinedjad et qui domine la vie politique iranienne)… L’Iran accédant ainsi à la supplique des Etats-Unis qui exhortait publiquement Téhéran « de mettre son influence au service de la stabilisation ».
S’il fallait une preuve de l’influence déterminante de l’Iran, la voilà. Le pays le plus haï de la région est devenu, grâce aux américains, l’arbitre des nouveaux maîtres de l’Irak - ces chiites qui aujourd’hui se divisent dans le sang entre pro et anti-américains.
Une situation d’autant plus paradoxale que les américains, qui accusaient jusqu’alors l’Iran de vouloir déstabiliser l’Irak en armant l’Armée du Mahdi, n'ont pu faire autrement que de s'en remettre à l'Iran lorsqu’il a fallu stabiliser l’Irak en sauvant la face d’un premier ministre qui, retournant à Bagdad sans avoir tenu parole, apparaît aujourd’hui de plus en plus affaibli.
Le résultat? Une situation encore plus inextricable, alors que les américains se démènent dans le nord contre Al Qaida qui tente de séculariser la région sunnite Tikrit-Bagdad-frontière syrienne, que les chrétiens d’Irak s’exilent dans le nord kurde - fuyant les kidnappings et les assassinats répétés, et que les kurdes s’essaient à une sécurité retrouvée sous la menace d’une ingérence militaire turque, etc.
Et l’Iran qui, grâce aux Etats-Unis, ne compte plus l’Irak au nombre de ses ennemis (l’Irak de Saddam Hussein a longtemps été le plus dangereux – cf. la guerre Iran-Irak), est aujourd’hui devenu, en qualité de seule puissance régionale capable de stabiliser l’Irak, l’acteur incontournable de la guerre d’influence qui se joue là-bas.